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Marie-Thérèse Bitsch
cussion sur ses tarifs intérieurs et une perte de ressources, et surtout à celle des
Pays-Bas. Les chemins de fer néerlandais qui ont une situation très particulière – ils
sont les seuls parmi les Six à ne pas être subventionnés et à ne pas publier leurs
tarifs – voudraient maintenir un système qui leur assure la prospérité. Seule la
France soutient à fond le projet de tarifs directs qui devraient être avantageux pour
les charbons de la Ruhr importés par la sidérurgie lorraine. Il faudra près d'un an de
patientes négociations pour arriver à bout de l'obstruction néerlandaise et adopter
en 1955 un accord prévoyant l'introduction très progressive des tarifs directs.
L'année suivante, la Haute Autorité s'intéresse à la navigation rhénane qui transporte
beaucoup de produits CECA. Là aussi existe une discrimination entre les
frets intérieurs, réglementés et élevés, et les frets internationaux dont la libre formation
garantie par l'Acte de Mannheim (1868) assure un niveau plus bas. Lorsque
la Haute Autorité cherche à éliminer ces disparités, elle peut, dans ce cas, compter
sur le ferme appui des Pays-Bas favorables à la liberté des deux tarifs et désireux
d'empêcher une hégémonie allemande. Bonn voudrait en effet aligner les frets
internationaux sur les tarifs pratiqués par les bateliers allemands qui sont largement
influencés par le GEORG, gros fournisseur de frets. Pour sortir du guêpier, la Haute
Autorité propose dans un premier temps de constituer une commission internationale
au sein de laquelle chargeurs et transporteurs pourraient établir les tarifs. Mais
ce projet est mis en pièces par l'opposition des bateliers rhénans qui veulent réglementer
les tarifs au sein d'un pool, véritable entrave à la libre concurrence. Une
issue partiellement satisfaisante est trouvée en 1957:à la suite d'une proposition de
la Haute Autorité, le conseil des ministres prévoit que – sur le Rhin – les frets
intérieurs devront s'aligner sur les frets internationaux librement établis. Mais, de la
décision à l'application, il y a une marge car les réticences restent grandes en Allemagne,
aussi bien à Bonn que chez les bateliers rhénans.
En 1958, à la fin de la période transitoire de cinq ans, la Haute Autorité se trouve
confrontée au défi le plus grave depuis sa création, la crise charbonnière qui se manifeste
brusquement par un gonflement important des stocks, en Allemagne et en Belgique.
La situation est particulièrement difficile dans ce dernier pays qui n'a pas réussi à
assainir son industrie charbonnière depuis 1953 en dépit des subventions exceptionnelles
– environ deux cent millions de DM – qui lui ont été accordées dans le cadre
de la CECA. Face à cette crise, la Haute Autorité réagit d'abord par une action indirecte:
elle finance la constitution de stocks, incite les Etats importateurs de charbon
(Pays-Bas, Italie) à limiter leurs achats dans les pays tiers au bénéfice d'une préférence
communautaire et augmente son aide aux mineurs touchés par le chômage à la suite de
fermetures de puits. Mais début 1959, la crise s'aggrave encore et plusieurs pays –
notamment l'Allemagne – adoptent des mesures de protection unilatérales, ce qui est
contraire à l'esprit et à la lettre du traité CECA. La Haute Autorité estime alors qu'elle
doit intervenir de manière plus énergique. Elle se demande si le moment n'est pas venu
d'agir directement, au titre de l'article 58, en proclamant l'état de "crise manifeste" qui
lui permet d'instaurer des quotas de production et de réduire les importations en provenance
de pays tiers. Une majorité se dégage au sein du collège en faveur de cette
solution malgré l'hostilité des membres allemands, italien et luxembourgeois. Mais la
déclaration de la crise manifeste doit obtenir un avis conforme du conseil des ministres