Vol. XXXVIII / 1 - Studia Moralia
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132 RÉAL TREMBLAY Cela reviendrait à porter atteinte à la consistance même du mystère pascal puisque, passé totalement en Dieu par sa victoire sur le péché et la mort et échappant ainsi aux limites de l’espace et du temps, le Crucifié ressuscité est par l’Esprit du Père un être totalement pour-les-autres et capable d’atteindre les “coeurs” selon des possibilités encore absolument inédites. Don intérieur du Père, l’Esprit fait en effet du Crucifié dont il s’est emparé totalement un être essentiellement ouvert-sur-les-autres et à même de les rejoindre jusqu’au noyau le plus substantiel de leur être pour les entraîner vers lui et se les unir selon une intimité ineffable. Sans fausse accomodation, on pourrait de ce point de vue faire appel au texte de Paul: “Même si nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus ainsi à présent” (2 Co 5, 16). II. Le prolongement sacramentel de la présence du Crucifié ressuscité Mais ce mode d’être du Crucifié ressuscité différent du mode d’être du Jésus de l’histoire n’entame en rien son réalisme corporel. Les Écritures (cf. Lc 24, 37-43; Jn 20, 19-23) 8 et, à sa suite, la grande tradition de l’Église 9 sont explicites à cet égard. N’insistons donc pas. Dans la logique de cette donnée, la présence plus que jamais réelle du Ressuscité à ses disciples devra, bien que libre à l’égard du temps et de l’espace en raison de sa totale appartenance au 8 Et les commentaires de J. ERNST, o.c., 666-668; R. SCHNACKENBURG, Das Johannesevangelium (HThKNT., IV/3), Freiburg-Basel-Wien, 380-390. 9 Les textes abondent ici. Rappelons en l’occurrence un passage d’Ignace d’Antioche et un autre d’Irénée de Lyon. “Pour moi, je sais et je crois que même après sa résurrection il (le Christ) était dans la chair. [...] Et après sa résurrection, Jésus mangea et but avec eux (Pierre et les autres qui étaient avec lui) comme un être de chair...” Ad Smyrn., III, 1.3 (SCh., 10, 135). - “De même donc que le Christ est ressuscité dans la substance de sa chair et a montré à ses disciples les marques des clous ainsi que l’ouverture de son côté - autant de preuves que c’était bien sa chair qui était ressuscitée d’entre les morts -, de même, dit l’Apôtre, «Dieu nous ressuscitera, nous aussi, par sa puissance» (1 Co 6, 14)” AH. V. 7, 1 (SCh., 153, 85).
LE PAIN ROMPU À MANGER ET LE VIN VERSÉ À BOIRE, VISAGE DU CRUCIFIÉ 133 monde de Dieu, rester de quelque manière liée à la réalité du monde non encore glorifiée et à sauver. Notre texte biblique nous le suggère clairement lorsque la reconnaissance du Crucifié ressuscité se fait au moment de la “fraction du pain” 10 . Ce prolongement spatio-temporel du Seigneur auprès des siens est encore affirmé par le fait qu’aussitôt reconnu le Crucifié ressuscité disparaît. C’est comme s’il voulait signifier à l’Église que, jusqu’à sa venue finale, il entend couler sa corporéité de Ressuscité en une autre corporéité relevant de ce monde spatiotemporel et accessible aux croyants qui y vivent encore. Comme Ressuscité il cède la place à une autre forme incarnée 11 de pré- 10 Nous reconnaissons ici le terme technique pour désigner le banquet du Seigneur qui ne s’est imposé cependant que dans un stade plus tardif de la réflexion théologique. C’est Ernst qui le note. Faut-il comprendre notre verset (30) comme une claire allusion à l’eucharistie? Non et oui pense le même auteur. Dans le contexte du repas juif de l’hospitalité, manque, au plan du déroulement des faits historiques, toute référence eucharistique. “Jésus, écrit-il, n’a nullement voulu comme Ressuscité répéter la dernière Cène. Il a plutôt pris le pain et l’a partagé, comme cela était la coutume dans chaque repas”. “Par contre, continue-t-il, on ne peut pas ne pas relever que Luc s’est représenté cet événement quotidien à la lumière de la célébration chrétienne primitive de l’eucharistie” o.c., 662 (C’est moi qui traduis). Cette interprétation me semble insuffisante. Tout en reconnaissant que la donnée historique et son rapport à l’eucharistie sont assez ténus, il serait plus qu’étonnant que Luc ait prêté à un événement si important pour la constitution et la vie de l’Église une signification complètement ignorée par le Ressuscité en personne. Mutatis mutandis, vaut ici le principe évangélique: les disciples ne sont pas au-dessus du Maître. 11 Il peut le faire puisqu’en tant que ressuscité et donc jouissant de la plénitude eschatologique, il a le pouvoir, s’il le veut, d’attirer à lui une réalité de ce monde au point d’en faire le décalque de sa corporéité glorifiée et, par là, de sa présence dans le temps et l’espace. C’est en un sens analogue que Durrwell écrit: “Consacrés par l’Esprit, le pain et le vin sont assumés si entièrement en celui qui est leur plénitude finale, par une réduction si immédiate sur le centre, que le Christ en devient la sub-stantia totale et que, se nourrissant de l’eucharistie, les chrétiens s’unissent, sans intermédiaire, au corps du Christ” F.-X. DURRWELL, L’Eucharistie sacrement pascal, Paris, 1980, 100. (C’est l’auteur qui souligne). Pour plus de détails sur la pensée durrwellienne, voir notre étude à paraître dans les Mélanges Bordoni: A proposito della presenza sacrificale di Cristo nell’eucaristia. Giustificazione e complementarità di due approcci.
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monde de Dieu, rester de quelque manière liée à la réalité du<br />
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représenté cet événement quotidien à la lumière de la célébration chrétienne<br />
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me semble insuffisante. Tout en reconnaissant que la donnée historique<br />
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que Luc ait prêté à un événement si important pour la constitution et la vie<br />
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de ce monde au point d’en faire le décalque de sa corporéité glorifiée et, par<br />
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en celui qui est leur plénitude finale, par une réduction si immédiate<br />
sur le centre, que le Christ en devient la sub-stantia totale et que, se nourrissant<br />
de l’eucharistie, les chrétiens s’unissent, sans intermédiaire, au corps<br />
du Christ” F.-X. DURRWELL, L’Eucharistie sacrement pascal, Paris, 1980, 100.<br />
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