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Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro <strong>de</strong> la Prensa-Basm Ozeti<br />
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Dimanche 10 - LundI 11décembre 2006<br />
la photo <strong>de</strong> l'exécution<br />
<strong>de</strong> onze Kur<strong>de</strong>s, prise en Iran en 1979, avait décroché le Pulitzer anonymement.<br />
Un photographe sort <strong>de</strong> }'ombre<br />
EN AOÛT 1979, une photo prise<br />
en Iran fait le tour du mon<strong>de</strong>. Un<br />
peloton d'exécution composé <strong>de</strong><br />
soldats <strong>de</strong> la République islamique<br />
fait feu sur une dizaine <strong>de</strong><br />
Kur<strong>de</strong>s sans armes. Elle est<br />
d'abord publiée dans le grand<br />
quotidien iranien Ettela'at, puis,<br />
par l'intermédiaire <strong>de</strong> l'agence<br />
UPI, dans <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong> publications<br />
du mon<strong>de</strong> entier.<br />
Quelques mois plus tard, elle<br />
remporte le prix Pulitzer. De<br />
manière anonyme. En effet, le<br />
journal Ettela'at juge plus pru<strong>de</strong>nt<br />
<strong>de</strong> ne pas dévoiler l'i<strong>de</strong>ntité<br />
du photographe.<br />
Au fil <strong>de</strong>s ans, l'image <strong>de</strong>vient<br />
un symbole <strong>de</strong> la violence du régime<br />
<strong>de</strong> Khomeyni, et le mystère<br />
<strong>de</strong>meure. De temps à autre, tel ou<br />
tel photographe iranien à l'étranger<br />
se targue d'avoir pris ce cliché,<br />
sans apporter <strong>de</strong> preuve décisive.<br />
Anonymat<br />
Dans son édition du 4 décembre,<br />
le WallStreetjoumal affirme<br />
avoir retrouvé le véritable auteur.<br />
Selon un long article <strong>de</strong> Joshua<br />
Prager, spécialiste <strong>de</strong>s enquêtes<br />
au quotidien économique newyorkais,<br />
il s'agirait <strong>de</strong> Jahangir<br />
Razmi, âgé aujourd'hui <strong>de</strong><br />
58 ans, vivant à Téhéran.<br />
Il était en reportage dans le<br />
Kurdistan iranien en août 1979.<br />
Il a assisté à la mascara<strong>de</strong> <strong>de</strong> procès<br />
qui a abouti à l'exécution <strong>de</strong>s<br />
onze Kur<strong>de</strong>s. Les photos sont parties<br />
par avion à Téhéran, tandis<br />
que le reporter restait sur place.<br />
Le rédacteur en chef d'Ettela'at a<br />
décidé la publication <strong>de</strong> la photo<br />
et opté pour l'anonymat <strong>de</strong> son<br />
auteur: «je voulaisprotéger Razmi<br />
», explique-t-il au Wall Street<br />
joumal.<br />
Joshua Prager a rencontré d'anciens<br />
collègues du photographe,<br />
<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> la rédaction d'Ettela'at<br />
et d'anciens responsables<br />
d'UPI, l'agence qui a réceptionné<br />
la photo à Bruxelles, au len<strong>de</strong>main<br />
<strong>de</strong> la parution en Iran. En<br />
outre, il affirme que M. Razmi lui<br />
a montré <strong>de</strong>s planches-contacts<br />
(épreuves papier avant tirage) <strong>de</strong><br />
la sinistre exécution, qui contiennent<br />
<strong>de</strong>s clichés jamais publiés.<br />
Lejournaliste américain a com- '<br />
mencé à s'intéresser à l'histoire<br />
<strong>de</strong> cette photo à partir <strong>de</strong> l'été<br />
2002, en lisant un livre consacré<br />
aux lauréa~ du prix Pulitzer.<br />
Vrais et faux informateurs<br />
«J'ai mis beaucoup <strong>de</strong> temps à<br />
remonter la piste, a-t-il expliqué<br />
au Mon<strong>de</strong> par téléphone <strong>de</strong>puis<br />
New York. Quand, finalement,<br />
j'ai pensé que lephotographe était<br />
toujours en vie à Téhéran,j'ai tenté<br />
<strong>de</strong> contacterM. Razmi <strong>de</strong>sEtats-<br />
Unis, mais c'était très difficile <strong>de</strong><br />
naviguer entre les vrais et lesfaux<br />
informateurs. je ne parle pas persan,<br />
et, quand j'ai enfin réussi à<br />
rencontrer M. Razmi à Téhéran,<br />
en août 2005, j'ai réalisé que<br />
j'avais parlé au téléphone avec<strong>de</strong>s<br />
interlocuteurs qui sefaisaient passer<br />
pour lui, mais qui n'étaient<br />
pas lui. »<br />
Lejournaliste américain souligne<br />
qu'en 1979 le photographe a<br />
fait les choses en règle. « Il avait<br />
lapermission d'un juge pour prendre<br />
ces photos. Il a donné les négatifs<br />
aux autorités quand ellesleslui<br />
ont <strong>de</strong>mandés. Il n'a pas touché un<br />
centime avec ces clichéspubliés à<br />
l'étranger. Aujourd'hui, ce n'est<br />
pas lui qui a cherchéà me contacter,<br />
mais plutôt l'inverse. »<br />
Convaincu <strong>de</strong> détenir ainsi les<br />
preuves que Jahangir Razmi est<br />
bien le véritable auteur <strong>de</strong>s photos,<br />
Joshua Prager prépare un<br />
livre sur cette affaire. A la suite<br />
<strong>de</strong> la publication <strong>de</strong> l'article du<br />
Wall Streetjoumal, l'agence UPI<br />
a contacté les membres du jury<br />
Pulitzer pour leur suggérer d'attribuer<br />
nommément le prix à<br />
Jahangir Razmi. •<br />
CATHERINE<br />
BÉDARIDA<br />
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