Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Revue <strong>de</strong> Presse-Press Review-Berhevoka Çapê-Rivista Stampa-Dentro <strong>de</strong> la Prensa-Basm Ozeti<br />
Trouvons une stratégie commune<br />
pour apaiser le Moyen-Orient<br />
LE FIGARO<br />
7 décembre 2006<br />
La situation politique et<br />
les problèmes <strong>de</strong> sécurité<br />
sont extrêmement préoccupants<br />
dans la vaste<br />
région comprise entre la vallée<br />
<strong>de</strong> l'Indus et la rive est <strong>de</strong> la Méditerranée.<br />
Quand les États-Unis sont intervenus<br />
militairement en Irak<br />
en 1991, leur objectif était d'entraîner<br />
un changement radical<br />
dans toute cette région. Aujourd'hui,<br />
il est clair que pour l'essentièl<br />
ils n'y sont pas parvenus,<br />
quel que soit le domaine considéré.<br />
Et même un succès, la tenue<br />
d'électIOns libres en Irak,<br />
menace <strong>de</strong> diviser le pays, plutôt<br />
que <strong>de</strong> l'unifier.<br />
Les relations <strong>de</strong> pouvoir au<br />
Moyen-Orient sont instables, en<br />
transformation constante, ce qui<br />
n'entraîne pas un effet <strong>de</strong> dominos<br />
vers la démocratisation, mais<br />
soulève la menace d'une chute<br />
en dominos vers le chaos.<br />
En 1991, la décision <strong>de</strong> partir<br />
en guerre contre l'Irak pour libérer<br />
le Kowelt a marqué le début<br />
du rôle <strong>de</strong> l'Amérique comme<br />
seul pouvoir militaire hégémonique<br />
dans la région. La décision<br />
<strong>de</strong> mener la guerre contre l'Irak<br />
pour la <strong>de</strong>uxième fois et d'occuper<br />
le pays en mars 2003 a<br />
transformé cette hégémonie en<br />
responsabilité directe <strong>de</strong>s États-<br />
Unis quant à l'avenir du Moyen-<br />
Orient.<br />
Le positionnement <strong>de</strong>s États-<br />
Unis comme acteur principal au<br />
Moyen-Orient pouvait déboucher<br />
sur <strong>de</strong>ux scénarios différents.<br />
S'ils réussissaient en utilisant<br />
leur puissance militaire, cela<br />
pouvait conduire à un nouveau<br />
Moyen-Orient, démocratique,<br />
mais si en dépit <strong>de</strong> leur force militaire<br />
ils échouaient, cela pouvait<br />
entraîner un vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> pouvoir<br />
déstabilisateur pour la région.<br />
C'est ce <strong>de</strong>uxième scénario, prévisible<br />
<strong>de</strong>puis le début, qui est<br />
<strong>de</strong>venu une réalité.<br />
L'objectif même <strong>de</strong> la guerre<br />
en Irak s'est transformé d'une<br />
mission <strong>de</strong> démocratisation à<br />
une mission <strong>de</strong> stabilisation très<br />
coûteuse en termes <strong>de</strong> vies humaines<br />
et <strong>de</strong> moyens financiers.<br />
À la place d'un réaménagement<br />
radical <strong>de</strong>s relations entre les<br />
pouvoirs dans la région, l'objectif<br />
se réduit maintenant à maintenir<br />
le statu quo.<br />
Par<br />
Joschka Fischer *<br />
« Une nouvelle<br />
politique<br />
moyen -orientale<br />
doit privilégier<br />
une offre globale<br />
à la Syrie, pour<br />
la détacher <strong>de</strong> l'Iran,<br />
et la résolution <strong>de</strong>s<br />
points <strong>de</strong> friction»<br />
,Au mieux, les États-Unis peuvent<br />
maintenant espérer un retrait<br />
qui leur permettrait <strong>de</strong> sauver<br />
la face. Le récent scrutin aux<br />
États-Unis était un référendum<br />
sur la guerre en Irak. Le résultat<br />
conduit à un calendr!er vers<br />
« l'irakisation » et à un retrait<br />
américain avant la prochaine<br />
élection prési<strong>de</strong>ntielle.<br />
Derrière la trop prévisible fin<br />
<strong>de</strong> la mission américaine <strong>de</strong><br />
stabilisation en Irak se profile<br />
une guerre civile qui menace <strong>de</strong><br />
se transformer en guerre entre<br />
Arabes et Iraniens par milices in:<br />
terposées, avec pour enjeu le<br />
contrôle <strong>de</strong> l'Irak, du Golfe, du<br />
Liban, <strong>de</strong>s territoires palestiniens<br />
et au-dèlà. Il faut aussi prendre<br />
en compte le risque important<br />
présenté par le vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> pouvoir<br />
en Irak qui pourrait fusionner le<br />
conflit israélo-arabe, la situation<br />
en Irak et en Afghanistan en une<br />
mégacrise régionale.<br />
À la lumière du retrait américain<br />
à venir, les pouvoirs régionaux<br />
réévaluent leurs intérêts et<br />
leurs objectifs. Les principaux acteurs<br />
seront l'Iran, la Syrie, l'Arabie<br />
saoudite, l'Égypte, la Jordanie,<br />
le Pakistan, la Turquie et<br />
Israël. Avec la guerre en Irak, les<br />
États-Unis ont perdu leur position<br />
<strong>de</strong> pouvoir unilatéral, cela<br />
tant au Moyen-Orient qu'ailleurs.<br />
À l'avenir, plusieurs gran<strong>de</strong>s<br />
puissances se manifesteront au<br />
Moyen-Orient, notamment les<br />
États-Unis, la Russie, la Chine et<br />
l'In<strong>de</strong>. Espérons que l'Europe sera<br />
<strong>de</strong> la partie, car sa sécurité se<br />
joue dans cette région.<br />
L'enjeu n'est plus seulement<br />
l'Irak, mais l'avenir <strong>de</strong> toute la<br />
région. Nous pourrons nous estimer<br />
heureux si le chaos naissant<br />
peut être limité à l'Irak.<br />
La reconnaissance par<br />
Washington que l'Irak ne peut<br />
plus être gagné ni même stabilisé<br />
sans un changement <strong>de</strong> structure<br />
au niveau <strong>de</strong> toute la région est<br />
venue très tard, peut-être même<br />
trop tard. Les États-Unis <strong>de</strong>vront<br />
trouver un accord avec leurs alliés<br />
et entamer <strong>de</strong>s pourparlers<br />
directs avec tous les autres acteurs<br />
pour essayer <strong>de</strong> parvenir à<br />
un nouveau consensus régional.<br />
Si ce changement <strong>de</strong> politique<br />
avait eu lieu il y a un an ou<br />
même au début <strong>de</strong> l'été <strong>de</strong>rnier,<br />
les perspectives auraient été<br />
meilleures. Avec chaque jour qui<br />
passe, la po&ition américaine<br />
dans la région s'affaiblit encore<br />
et les chances <strong>de</strong> réussite d'une<br />
nouvelle stratégie politique<br />
s'éloignent.<br />
Le plus grand danger vient <strong>de</strong><br />
l'Iran, le premier bénéficiaire du<br />
vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> pouvoir en Irak. L'Iran a<br />
<strong>de</strong>s ambitions hégémoniques<br />
qu'il cherche à réaliser en s'appuyant<br />
sur son potentiel militaire,<br />
ses réserves en pétrole et<br />
en gaz, son programme nucléaire,<br />
son influence sur les chiites<br />
dans toute la région et ses tentatives<br />
pour mettre fin au statu quo<br />
dans le mon<strong>de</strong> arabo-musulman.<br />
Néanmoins,<br />
ce pays est relativement<br />
isolé. Ses seuls alliés<br />
dans la régIOn sont la Syrie et<br />
le Hezbollah. D'autre part, il est<br />
menacé par une coalition antiiranienne<br />
<strong>de</strong> facto <strong>de</strong> tous les<br />
autres pouvoirs régionaux rassemblés<br />
par leur crainte d'une<br />
• domination iranienne.<br />
Si l'Occi<strong>de</strong>nt -l'Amérique et<br />
, l'Europe - agit vite et résolument<br />
dans le cadre d'une stratégie<br />
conjointe, il reste une chance <strong>de</strong><br />
stabiliser la situation. Mais, pour<br />
y parvenir, il sera nécessaire <strong>de</strong><br />
réexaminer les relations avec les<br />
principaux acteurs <strong>de</strong> la région.<br />
Cela passe par une stratégie<br />
fondée sur <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> nature<br />
politique et non sur une menace<br />
d'intervention militaire ou <strong>de</strong><br />
changement <strong>de</strong>, régime. À la place,<br />
il faut <strong>de</strong>s négociations directes,<br />
<strong>de</strong>s garanties <strong>de</strong> sécurité et<br />
une ai<strong>de</strong> à l'intégration politique<br />
et économique. Pour réussir, cette<br />
stratégie nécessite aussi le recours<br />
à une menace réaliste<br />
d'isolation envers ceux qui continuent<br />
à miner la stabilité régionale,<br />
ainsi que <strong>de</strong>s progrès substantiels<br />
dans la résolution du<br />
conflit israélo-arabe.<br />
Une nouvelle politique<br />
moyen-orientale doit donc privilégier<br />
quatre éléments: 1) une<br />
offre globale à la Syrie, pour la<br />
détacher <strong>de</strong> l'Iran, et la résolution<br />
<strong>de</strong>s points <strong>de</strong> friction; 2)<br />
une offre <strong>de</strong> négociations directes<br />
à l'Iran portant sur une<br />
perspective <strong>de</strong> normalisation<br />
complète <strong>de</strong>s relations; 3) une<br />
initiative décisive et réaliste<br />
pour résoudre le conflit israéloarabe;<br />
4) une architecture <strong>de</strong> sécurité<br />
régionale centrée sur la<br />
stabilisation <strong>de</strong> l'Irak et <strong>de</strong><br />
l'Afghanis tan.<br />
*Ancien ministre <strong>de</strong>s Affaires<br />
étrangères et vice-chancelier<br />
allemand <strong>de</strong> 1998 à 2005. Chef<br />
<strong>de</strong> file du parti <strong>de</strong>s Verts pendant<br />
presque vingt ans, actuellement<br />
professeur à la Woodrow Wilson<br />
School <strong>de</strong> l'université <strong>de</strong> Princeton.<br />
@ project Syndicate/<strong>Institut</strong>e of<br />
Human Sciences, 2006. www.project-syndicate.org.<br />
TradUit <strong>de</strong><br />
l'anglais par Patrice Horovitz<br />
14