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05.09.2013 Views

la solution Du conflit israélo-palestinien sera Belge ou ne sera pas. – HILdEGARd dE VuySt Comme je me rends régulièrement en Israël / Palestine, on me pose souvent la question suivante : « Que cherche-t-on à faire dans cette région ? De toute façon, on ne trouvera jamais de solution ». La solution officielle est toujours celle des deux États. Deux États distincts se partageant le territoire de la Palestine historique, avec deux peuples : les Juifs, dont la majorité sont arrivés après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, et les Palestiniens, originaires de ce territoire. L’État d’Israël existe depuis plus de soixante ans ; reste maintenant à doter les Palestiniens de leur propre État. Ceux-ci sont souvent présentés comme étant le reflet l’un de l’autre, une représentation qui, bien évidemment, occulte les rapports de force existants. Je puis comprendre qu’Israël s’accroche à une solution négociée des deux États. La négociation est en effet pour eux la meilleure manière de mettre la main sur un territoire sans cesse plus grand, puisque leur position dominante dans le conflit leur permet de poursuivre la politique du ‘fait accompli’ sur le terrain. Une pratique qui, traduite de la novlangue internationale, recouvre des réalités telles que les implantations illégales en territoire occupé, le Mur illégal, l’appropriation de sources d’eau, etc. Autant de faits illégaux pour lesquels l’État d’Israël se voit condamner officiellement sans que des suites y soient données. En 1947, l’ONU avait proposé un plan de partage en deux, allouant 44% du territoire de la Palestine historique aux Palestiniens. Ceux-ci rejetèrent le plan. Quelques guerres et tours de négociations plus tard, ce pourcentage a été pratiquement diminué de moitié. Cela fait d’Israël un pays sans frontières. Quant à la célèbre Green Line – la ligne de démarcation tracée en 1949 après la première guerre israélo-arabe –, elle fut franchie en 1967 lorsqu’Israël s’empara – pour les occuper par la suite – de la bande de Gaza, de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie (West Bank), du plateau du Golan et du désert du Sinaï. Depuis les Accords d’Oslo (1993), une partie des Territoires occupés s’est retrouvée sous la tutelle de l’Autorité palestinienne (AP) ; il s’agit en pratique de la bande de Gaza et des noyaux urbains 26 focus / fr de la Cisjordanie. Car en dépit des finesses du langage diplomatique, le but d’Israël est toujours aussi clair : un maximum de terres avec une présence minimale de Palestiniens. Plus étrange est le fait que l’Autorité palestinienne, elle aussi, ne jure que par la solution des deux États. L’intervention israélienne rend ces États futurs toujours plus illusoires : le Mur qui s’enfonce profondément dans la Cisjordanie, en s’éloignant de la Green Line – une manière d’annexer des terres ; les check-points fixes ou mobiles ; le blocus de Gaza; le contrôle par Israël des personnes et des marchandises aux accès terrestres, aériens et maritimes des Territoires occupés ; les routes qui relient les colonies en parcellisant le paysage ; l’isolement de Jérusalem du fait de son encerclement par des implantations s’étendant jusqu’au Jourdain de plus en plus nombreuses, une situation qui divise de facto la Cisjordanie en deux : la partie nord et la partie sud, avec la seule Wadi an-Nar (la Vallée du Feu) comme lien possible. Entre-temps, la route a été élargie et revêtue d’une nouvelle couche d’asphalte, mais elle plonge dans une vallée profonde et est mortellement dangereuse ; son tracé est aisément contrôlable à partir des colonies, dont les champs de vision englobent chacune des lignes de crête. Où se situe donc cet État palestinien, dans la logique des deux États ? La Cisjordanie et Gaza sont distantes de plusieurs dizaines de kilomètres, avec Israël entre les deux ; comment imaginer que les gens et les marchandises puissent un jour circuler librement, comme cela se passe logiquement à l’intérieur d’un État ? Même la Cisjordanie ne doit plus être considérée comme un ensemble cohérent : c’est un patchwork de villes entrecoupées de colonies et de terres contrôlées par Israël. Quid aussi de Jérusalem dont on aime tant présenter les parties est (palestinienne) et ouest (israélienne) comme une sorte de Berlin-Est / Berlin-Ouest divisé au cordeau ? En réalité, tout s’enchevêtre et chaque parcelle de terrain, chaque maison fait l’objet de différends, dans le déséquilibre des forces en présence. Tous les moyens sont bons pour forcer les Palestiniens à quitter Jérusalem : non-attribution de permis de bâtir, expulsion et démolition sous le prétexte d’infractions – réelles ou présumées – en matière de construction, sans compter toutes sortes de tracasseries administratives. A titre d’exemple, l’habitant palestinien de Jérusalem qui transporte un habitant de Cisjordanie dans sa voiture court le risque de se faire confisquer celle-ci. Pourquoi l’Autorité palestinienne s’accroche-t-elle à la solution des deux États, alors qu’Israël prétend, sans s’en cacher, qu’il ne veut pas d’un État palestinien viable ? Se pourrait-il qu’elle soit partie prenante du problème ? L’AP, le gouvernement d’un pays qui n’en est pas un, avec une économie illusoire puisque reposant sur l’aide en provenance de l’étranger, les USA et l’Europe en particulier. C’est la même communauté internationale qui exigeait des élections démocratiques, quitte à en critiquer par la suite le déroulement, lorsqu’il devint clair que le Hamas islamique l’emportait. Un résultat qui ne pouvait que décevoir puisque ce n’étaient pas les amis du Fatah qui avaient gagné, mais bien ce mouvement infréquentable au plan international en tant qu’interlocuteur. Le Hamas est invariablement présenté comme ayant pris le pouvoir à Gaza en 2007 par la violence. Prenez n’importe quel journal, c’est ce qu’on y raconte. Pour apprendre qu’à l’époque, le Hamas avait déjoué un coup du Fatah parrainé par les USA, il faut se rendre sur www.electronicintifada.net ou lire Noam Chomski. Je ne lis jamais dans mon journal que l’actuelle AP s’est emparée du pouvoir en Cisjordanie. Le Président Abbas a placé un technocrate à la tête d’un gouvernement d’urgence non élu. A partir de là, on peut avancer l’argument que c’était la seule manière d’encore obtenir l’appui de la communauté internationale en Cisjordanie. Il n’empêche que la légitimité de ce gouvernement est bancale. Une des questions auxquelles l’AP doit veiller est la sécurité d’Israël. Lorsque les Palestiniens ont eu l’effronterie de demander à l’ONU et aux organisations apparentées la reconnaissance de leur territoire en tant qu’État, les USA n’ont rien eu de plus pressé que de fermer le robinet des subventions – à l’exception du financement d’un sous-programme pour la formation de policiers. A l’heure actuelle, de nombreux jeunes Palestiniens reprochent amèrement à l’AP de jouer avant tout le rôle de policier d’Israël. Plutôt une parcelle de pouvoir que pas de pouvoir du tout, est-ce l’idée qui anime les membres de l’AP? Israël contrôle tout (frontières, taxes, eau, etc.), annexe des terres et déplace des populations, mais l’existence de l’AP dissimule la vraie nature d’une occupation contraire à toutes les lois internationales. En dehors de la carence démocratique de l’AP, ignorée par les médias grand public et la communauté internationale, l’autre problème est que l’AP ne représente que les Palestiniens des Territoires occupés. Et cela, alors que ceux-ci ne constituent qu’une fraction des Palestiniens touchés par le conflit. L’AP ne représente pas les réfugiés palestiniens (installés depuis 1948 dans les camps des pays arabes voisins) ni la diaspora palestinienne (l’Arabie saoudite, le Chili, etc.). Ceux-ci sont en effet représentés par l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine), dont le Hamas ne fait pas partie. On peut donc dire qu’il y a également un problème de représentativité des Palestiniens. Une question qui n’est jamais abordée ou défendue, même par l’OLP, est celle des Palestiniens d’Israël. Le courageux historien israélien Illan Pappe y a d’ailleurs consacré son dernier livre : The forgotten Palestinians. Ces ‘rescapés’ de l’épuration ethnique de 1948 constituent actuellement 20% de la population israélienne. Ils sont souvent désignés sous l’appellation ‘d’Israéliens arabes’, comme s’il s’agissait d’immigrés venus du Koweït ou d’Arabie saoudite. Ces communautés de Palestiniens d’Israël sont dispersées à l’image des implantations de l’autre côté du Mur : en Galilée au nord, dans et aux alentours des villes de Um el-Fahm et Haïfa, à Jaffa, dans le faubourg de Tel-Aviv, sans compter les bédouins palestiniens se trouvant dans le sud, près de la ville de Beersheba. Vous êtes pris de vertige ? Laissez-moi vous présenter mon point de vue : la solution des deux États n’offre aucune perspective viable pour les Palestiniens des Territoires occupés, elle n’offre aucune perspective pour les réfugiés palestiniens et ne fera que renforcer le statut de citoyen de seconde zone des Palestiniens d’Israël. Il faut se débarrasser des formules toutes faites du style « Volk wordt Staat » (« Peuple devient État »), qui me poussaient, à l’adolescence, vers la plaine de l’Yser, animé de l’esprit du ‘Sturm und Drang’ et indigné par l’injustice. Depuis cette époque, les droits des Flamands sont garantis par la réforme de l’État de 1993 et celles qui ont suivi. J’ai également compris dans l’intervalle que le mot ‘peuple’ ne servait souvent qu’à en exclure un autre. L’État d’Israël tient à sauvegarder coûte que coûte son caractère juif. Il n’a pas de Constitution pour garantir l’égalité des droits à tous ses citoyens. Cela signifie que les Juifs ont davantage de droits que les non-Juifs. Les Palestiniens sont considérés en Israël comme une menace démographique. Dans les années à venir, du fait du taux de natalité plus élevé, il y aura plus de Palestiniens que de Juifs entre la Méditerranée et le Jourdain. Une crainte qui ne fait que s’amplifier, au point qu’elle pourrait contribuer à accélérer la création d’un État palestinien. Étant entendu qu’Israël fermerait alors son territoire aux Palestiniens. Cela se passe d’ailleurs déjà à l’heure actuelle par le biais de lois spécifiques : le Palestinien d’Israël qui prend un habitant de la Cisjordanie pour partenaire ne peut pas le faire venir en Israël. Qu’adviendra-t-il de la population palestinienne d’Israël dans l’hypothèse de la solution des deux États ? Sera-t-elle forcée de partir, réalisant ainsi le rêve éveillé d’Avigdor Lieberman, le ministre israélien des Affaires étrangères ? Ou bien ces terres seront-elles ajoutées au territoire de l’État palestinien en échange d’implantations israéliennes illégales ? C’est cette peur de perte de suprématie qui fait obstacle à une autre solution au conflit israélo-palestinien, à savoir : un État unique, fédéral selon le modèle belge, ou binational. Un État qui traiterait tous ses citoyens sur une même base d’égalité, avec des droits et devoirs identiques, en faisant abstraction de l’appartenance ethnico-religieuse. Un État où l’on pratiquerait le ‘un homme, une voix’. Où les Juifs comme les Palestiniens pourraient revenir dans leur patrie rêvée. Où les dizaines de milliers de Palestiniens dépossédés de leurs terres et habitations verraient cette injustice réparée. Où chacun serait autorisé à parler sa propre langue et à vivre sa propre culture, tout en bénéficiant de l’enseignement approprié et de travaux d’infrastructure exécutés dans l’intérêt général. A première vue, Israël a tout à y perdre, comme ce fut le cas des Blancs en Afrique du Sud. Mais une analyse plus approfondie conduit à penser le contraire. En matière de sécurité tout d’abord, dont on peut affirmer sans risque de se tromper qu’elle keffiYeh / maDe in china p. 12 constitue le bien le plus précieux des Juifs (pas uniquement israéliens). Les Palestiniens d’Israël, dont la population est quand même dans un rapport de un à cinq, n’ont jamais assailli leurs concitoyens juifs, même au moment des atrocités de la guerre de Gaza. Ils ne commettent pas d’attentats, alors qu’aucun mur ne les sépare de leurs soi-disant ennemis jurés. Ils ne rejettent pas leurs concitoyens juifs à la mer, comme tentent de le faire accroire les partisans d’un climat de la peur. Les Palestiniens d’Israël tiennent à garder leur citoyenneté israélienne parce qu’en dépit de tout, celle-ci leur offre l’opportunité de progresser dans la vie, de recevoir une éducation, de mener des affaires, d’assurer un meilleur avenir à leurs enfants. Une situation inverse de celle des Palestiniens bloqués dans les Territoires occupés, pour qui il n’existe aucune perspective d’avenir. Offrir à tous les habitants la possibilité de vivre dignement est la meilleure garantie de sécurité. Le second gain pour Israël serait de recouvrer sa dignité morale. La solution d’un État unique pourrait mettre un terme aux dérives politiques, militaires et sociales qui trouvent leur justification dans l’idée que l’Autre est un être de valeur moindre. En outre, cet État unitaire Israël / Palestine adhérerait au 21 e siècle : une nation brassée, composée de populations autochtones et immigrées, partageant et vivant une citoyenneté commune. Israël prétend toujours être la seule démocratie au Moyen-Orient. De récentes propositions de lois indiquent toutefois que ce contenu démocratique pourrait s’éroder rapidement. Ainsi, il est question de museler les ONG ‘politiques’ cofinancées par l’étranger ; une manière déguisée, avant tout, de contrôler les organisations des droits de l’homme qui dénoncent les violations israéliennes. De même, on cherche à poursuivre les citoyens qui soutiennent BDS (Boycot, Disvestment, Sanctions), une action de boycott menée dans le monde à l’instar du boycott international contre le défunt régime d’apartheid en Afrique du Sud. Par ailleurs, on veut soumettre les Palestiniens et les non-Juifs à prêter un serment de fidélité à Israël, en tant qu’État juif et démocratique. Pas de loyauté, pas de citoyenneté. Que penser, dans ces conditions, d’un tel espace démocratique ? Il est urgent d’abattre ce Mur ! on loVe anD other lanDscapes © yazan khalili

la solution Du conflit<br />

israélo-palestinien<br />

sera Belge ou<br />

ne sera pas.<br />

– HILdEGARd dE VuySt<br />

Comme je me rends régulièrement en Israël / Palestine,<br />

on me pose souvent la question suivante :<br />

« Que cherche-t-on à faire dans cette région ? De<br />

toute façon, on ne trouvera jamais de solution ». La<br />

solution officielle est toujours celle des deux États.<br />

Deux États distincts se partageant le territoire de la<br />

Palestine historique, avec deux peuples : les Juifs,<br />

dont la majorité sont arrivés après les horreurs de la<br />

Seconde Guerre mondiale, et les Palestiniens, originaires<br />

de ce territoire. L’État d’Israël existe depuis<br />

plus de soixante ans ; reste maintenant à doter les<br />

Palestiniens de leur propre État. Ceux-ci sont souvent<br />

présentés comme étant le reflet l’un de l’autre,<br />

une représentation qui, bien évidemment, occulte<br />

les rapports de force existants.<br />

Je puis comprendre qu’Israël s’accroche à une solution<br />

négociée des deux États. La négociation est<br />

en effet pour eux la meilleure manière de mettre<br />

la main sur un territoire sans cesse plus grand,<br />

puisque leur position dominante dans le conflit leur<br />

permet de poursuivre la politique du ‘fait accompli’<br />

sur le terrain. Une pratique qui, traduite de la novlangue<br />

internationale, recouvre des réalités telles<br />

que les implantations illégales en territoire occupé,<br />

le Mur illégal, l’appropriation de sources d’eau,<br />

etc. Autant de faits illégaux pour lesquels l’État<br />

d’Israël se voit condamner officiellement sans que<br />

des suites y soient données. En 1947, l’ONU avait<br />

proposé un plan de partage en deux, allouant 44%<br />

du territoire de la Palestine historique aux Palestiniens.<br />

Ceux-ci rejetèrent le plan. Quelques guerres<br />

et tours de négociations plus tard, ce pourcentage<br />

a été pratiquement diminué de moitié.<br />

Cela fait d’Israël un pays sans frontières. Quant<br />

à la célèbre Green Line – la ligne de démarcation<br />

tracée en 1949 après la première guerre israélo-arabe<br />

–, elle fut franchie en 1967 lorsqu’Israël<br />

s’empara – pour les occuper par la suite – de la<br />

bande de Gaza, de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie<br />

(West Bank), du plateau du Golan et du désert<br />

du Sinaï. Depuis les Accords d’Oslo (1993), une partie<br />

des Territoires occupés s’est retrouvée sous la<br />

tutelle de l’Autorité palestinienne (AP) ; il s’agit en<br />

pratique de la bande de Gaza et des noyaux urbains<br />

26<br />

focus / fr<br />

de la Cisjordanie. Car en dépit des finesses du langage<br />

diplomatique, le but d’Israël est toujours aussi<br />

clair : un maximum de terres avec une présence<br />

minimale de Palestiniens.<br />

Plus étrange est le fait que l’Autorité palestinienne,<br />

elle aussi, ne jure que par la solution<br />

des deux États. L’intervention israélienne rend<br />

ces États futurs toujours plus illusoires : le Mur<br />

qui s’enfonce profondément dans la Cisjordanie,<br />

en s’éloignant de la Green Line – une manière<br />

d’annexer des terres ; les check-points fixes ou<br />

mobiles ; le blocus de Gaza; le contrôle par Israël<br />

des personnes et des marchandises aux accès terrestres,<br />

aériens et maritimes des Territoires occupés<br />

; les routes qui relient les colonies en parcellisant<br />

le paysage ; l’isolement de Jérusalem du fait<br />

de son encerclement par des implantations s’étendant<br />

jusqu’au Jourdain de plus en plus nombreuses,<br />

une situation qui divise de facto la Cisjordanie en<br />

deux : la partie nord et la partie sud, avec la seule<br />

Wadi an-Nar (la Vallée du Feu) comme lien possible.<br />

Entre-temps, la route a été élargie et revêtue d’une<br />

nouvelle couche d’asphalte, mais elle plonge dans<br />

une vallée profonde et est mortellement dangereuse<br />

; son tracé est aisément contrôlable à partir<br />

des colonies, dont les champs de vision englobent<br />

chacune des lignes de crête. Où se situe donc cet<br />

État palestinien, dans la logique des deux États ?<br />

La Cisjordanie et Gaza sont distantes de plusieurs<br />

dizaines de kilomètres, avec Israël entre les deux ;<br />

comment imaginer que les gens et les marchandises<br />

puissent un jour circuler librement, comme<br />

cela se passe logiquement à l’intérieur d’un État ?<br />

Même la Cisjordanie ne doit plus être considérée<br />

comme un ensemble cohérent : c’est un patchwork<br />

de villes entrecoupées de colonies et de terres<br />

contrôlées par Israël. Quid aussi de Jérusalem<br />

dont on aime tant présenter les parties est (palestinienne)<br />

et ouest (israélienne) comme une sorte<br />

de Berlin-Est / Berlin-Ouest divisé au cordeau ?<br />

En réalité, tout s’enchevêtre et chaque parcelle de<br />

terrain, chaque maison fait l’objet de différends,<br />

dans le déséquilibre des forces en présence. Tous<br />

les moyens sont bons pour forcer les Palestiniens<br />

à quitter Jérusalem : non-attribution de permis<br />

de bâtir, expulsion et démolition sous le prétexte<br />

d’infractions – réelles ou présumées – en matière<br />

de construction, sans compter toutes sortes de<br />

tracasseries administratives. A titre d’exemple,<br />

l’habitant palestinien de Jérusalem qui transporte<br />

un habitant de Cisjordanie dans sa voiture court le<br />

risque de se faire confisquer celle-ci.<br />

Pourquoi l’Autorité palestinienne s’accroche-t-elle<br />

à la solution des deux États, alors qu’Israël prétend,<br />

sans s’en cacher, qu’il ne veut pas d’un État<br />

palestinien viable ? Se pourrait-il qu’elle soit partie<br />

prenante du problème ? L’AP, le gouvernement d’un<br />

pays qui n’en est pas un, avec une économie illusoire<br />

puisque reposant sur l’aide en provenance de<br />

l’étranger, les USA et l’Europe en particulier. C’est<br />

la même communauté internationale qui exigeait<br />

des élections démocratiques, quitte à en critiquer<br />

par la suite le déroulement, lorsqu’il devint clair<br />

que le Hamas islamique l’emportait. Un résultat qui<br />

ne pouvait que décevoir puisque ce n’étaient pas<br />

les amis du Fatah qui avaient gagné, mais bien ce<br />

mouvement infréquentable au plan international<br />

en tant qu’interlocuteur.<br />

Le Hamas est invariablement présenté comme<br />

ayant pris le pouvoir à Gaza en 2007 par la violence.<br />

Prenez n’importe quel journal, c’est ce qu’on<br />

y raconte. Pour apprendre qu’à l’époque, le Hamas<br />

avait déjoué un coup du Fatah parrainé par les USA,<br />

il faut se rendre sur www.electronicintifada.net ou<br />

lire Noam Chomski. Je ne lis jamais dans mon journal<br />

que l’actuelle AP s’est emparée du pouvoir en<br />

Cisjordanie. Le Président Abbas a placé un technocrate<br />

à la tête d’un gouvernement d’urgence non<br />

élu. A partir de là, on peut avancer l’argument que<br />

c’était la seule manière d’encore obtenir l’appui de<br />

la communauté internationale en Cisjordanie. Il<br />

n’empêche que la légitimité de ce gouvernement<br />

est bancale.<br />

Une des questions auxquelles l’AP doit veiller<br />

est la sécurité d’Israël. Lorsque les Palestiniens<br />

ont eu l’effronterie de demander à l’ONU et aux<br />

organisations apparentées la reconnaissance de<br />

leur territoire en tant qu’État, les USA n’ont rien<br />

eu de plus pressé que de fermer le robinet des<br />

subventions – à l’exception du financement d’un<br />

sous-programme pour la formation de policiers. A<br />

l’heure actuelle, de nombreux jeunes Palestiniens<br />

reprochent amèrement à l’AP de jouer avant tout<br />

le rôle de policier d’Israël. Plutôt une parcelle de<br />

pouvoir que pas de pouvoir du tout, est-ce l’idée<br />

qui anime les membres de l’AP? Israël contrôle<br />

tout (frontières, taxes, eau, etc.), annexe des terres<br />

et déplace des populations, mais l’existence de<br />

l’AP dissimule la vraie nature d’une occupation<br />

contraire à toutes les lois internationales.<br />

En dehors de la carence démocratique de l’AP,<br />

ignorée par les médias grand public et la communauté<br />

internationale, l’autre problème est que l’AP<br />

ne représente que les Palestiniens des Territoires<br />

occupés. Et cela, alors que ceux-ci ne constituent<br />

qu’une fraction des Palestiniens touchés par le<br />

conflit. L’AP ne représente pas les réfugiés palestiniens<br />

(installés depuis 1948 dans les camps des<br />

pays arabes voisins) ni la diaspora palestinienne<br />

(l’Arabie saoudite, le Chili, etc.). Ceux-ci sont en<br />

effet représentés par l’OLP (Organisation de Libération<br />

de la Palestine), dont le Hamas ne fait pas<br />

partie. On peut donc dire qu’il y a également un problème<br />

de représentativité des Palestiniens.<br />

Une question qui n’est jamais abordée ou défendue,<br />

même par l’OLP, est celle des Palestiniens d’Israël.<br />

Le courageux historien israélien Illan Pappe y<br />

a d’ailleurs consacré son dernier livre : The forgotten<br />

Palestinians. Ces ‘rescapés’ de l’épuration ethnique<br />

de 1948 constituent actuellement 20% de la<br />

population israélienne. Ils sont souvent désignés<br />

sous l’appellation ‘d’Israéliens arabes’, comme s’il<br />

s’agissait d’immigrés venus du Koweït ou d’Arabie<br />

saoudite. Ces communautés de Palestiniens d’Israël<br />

sont dispersées à l’image des implantations<br />

de l’autre côté du Mur : en Galilée au nord, dans et<br />

aux alentours des villes de Um el-Fahm et Haïfa, à<br />

Jaffa, dans le faubourg de Tel-Aviv, sans compter<br />

les bédouins palestiniens se trouvant dans le sud,<br />

près de la ville de Beersheba.<br />

Vous êtes pris de vertige ? Laissez-moi vous présenter<br />

mon point de vue : la solution des deux États<br />

n’offre aucune perspective viable pour les Palestiniens<br />

des Territoires occupés, elle n’offre aucune<br />

perspective pour les réfugiés palestiniens et ne<br />

fera que renforcer le statut de citoyen de seconde<br />

zone des Palestiniens d’Israël. Il faut se débarrasser<br />

des formules toutes faites du style « Volk wordt<br />

Staat » (« Peuple devient État »), qui me poussaient,<br />

à l’adolescence, vers la plaine de l’Yser, animé de<br />

l’esprit du ‘Sturm und Drang’ et indigné par l’injustice.<br />

Depuis cette époque, les droits des Flamands<br />

sont garantis par la réforme de l’État de 1993 et<br />

celles qui ont suivi. J’ai également compris dans<br />

l’intervalle que le mot ‘peuple’ ne servait souvent<br />

qu’à en exclure un autre.<br />

L’État d’Israël tient à sauvegarder coûte que<br />

coûte son caractère juif. Il n’a pas de Constitution<br />

pour garantir l’égalité des droits à tous ses citoyens.<br />

Cela signifie que les Juifs ont davantage de droits<br />

que les non-Juifs. Les Palestiniens sont considérés<br />

en Israël comme une menace démographique. Dans<br />

les années à venir, du fait du taux de natalité plus<br />

élevé, il y aura plus de Palestiniens que de Juifs<br />

entre la Méditerranée et le Jourdain. Une crainte<br />

qui ne fait que s’amplifier, au point qu’elle pourrait<br />

contribuer à accélérer la création d’un État palestinien.<br />

Étant entendu qu’Israël fermerait alors son<br />

territoire aux Palestiniens. Cela se passe d’ailleurs<br />

déjà à l’heure actuelle par le biais de lois spécifiques<br />

: le Palestinien d’Israël qui prend un habitant<br />

de la Cisjordanie pour partenaire ne peut pas le<br />

faire venir en Israël. Qu’adviendra-t-il de la population<br />

palestinienne d’Israël dans l’hypothèse de la<br />

solution des deux États ? Sera-t-elle forcée de partir,<br />

réalisant ainsi le rêve éveillé d’Avigdor Lieberman,<br />

le ministre israélien des Affaires étrangères ?<br />

Ou bien ces terres seront-elles ajoutées au territoire<br />

de l’État palestinien en échange d’implantations<br />

israéliennes illégales ?<br />

C’est cette peur de perte de suprématie qui fait<br />

obstacle à une autre solution au conflit israélo-palestinien,<br />

à savoir : un État unique, fédéral selon le<br />

modèle belge, ou binational. Un État qui traiterait<br />

tous ses citoyens sur une même base d’égalité,<br />

avec des droits et devoirs identiques, en faisant<br />

abstraction de l’appartenance ethnico-religieuse.<br />

Un État où l’on pratiquerait le ‘un homme, une voix’.<br />

Où les Juifs comme les Palestiniens pourraient<br />

revenir dans leur patrie rêvée. Où les dizaines de<br />

milliers de Palestiniens dépossédés de leurs terres<br />

et habitations verraient cette injustice réparée. Où<br />

chacun serait autorisé à parler sa propre langue<br />

et à vivre sa propre culture, tout en bénéficiant de<br />

l’enseignement approprié et de travaux d’infrastructure<br />

exécutés dans l’intérêt général.<br />

A première vue, Israël a tout à y perdre, comme<br />

ce fut le cas des Blancs en Afrique du Sud. Mais<br />

une analyse plus approfondie conduit à penser le<br />

contraire. En matière de sécurité tout d’abord, dont<br />

on peut affirmer sans risque de se tromper qu’elle<br />

keffiYeh /<br />

maDe in china<br />

p. 12<br />

constitue le bien le plus précieux des Juifs (pas uniquement<br />

israéliens). Les Palestiniens d’Israël, dont<br />

la population est quand même dans un rapport de<br />

un à cinq, n’ont jamais assailli leurs concitoyens<br />

juifs, même au moment des atrocités de la guerre<br />

de Gaza. Ils ne commettent pas d’attentats, alors<br />

qu’aucun mur ne les sépare de leurs soi-disant ennemis<br />

jurés. Ils ne rejettent pas leurs concitoyens<br />

juifs à la mer, comme tentent de le faire accroire les<br />

partisans d’un climat de la peur. Les Palestiniens<br />

d’Israël tiennent à garder leur citoyenneté israélienne<br />

parce qu’en dépit de tout, celle-ci leur offre<br />

l’opportunité de progresser dans la vie, de recevoir<br />

une éducation, de mener des affaires, d’assurer<br />

un meilleur avenir à leurs enfants. Une situation<br />

inverse de celle des Palestiniens bloqués dans<br />

les Territoires occupés, pour qui il n’existe aucune<br />

perspective d’avenir. Offrir à tous les habitants la<br />

possibilité de vivre dignement est la meilleure garantie<br />

de sécurité.<br />

Le second gain pour Israël serait de recouvrer<br />

sa dignité morale. La solution d’un État unique<br />

pourrait mettre un terme aux dérives politiques,<br />

militaires et sociales qui trouvent leur justification<br />

dans l’idée que l’Autre est un être de valeur moindre.<br />

En outre, cet État unitaire Israël / Palestine adhérerait<br />

au 21 e siècle : une nation brassée, composée de<br />

populations autochtones et immigrées, partageant<br />

et vivant une citoyenneté commune.<br />

Israël prétend toujours être la seule démocratie<br />

au Moyen-Orient. De récentes propositions de<br />

lois indiquent toutefois que ce contenu démocratique<br />

pourrait s’éroder rapidement. Ainsi, il est<br />

question de museler les ONG ‘politiques’ cofinancées<br />

par l’étranger ; une manière déguisée, avant<br />

tout, de contrôler les organisations des droits de<br />

l’homme qui dénoncent les violations israéliennes.<br />

De même, on cherche à poursuivre les citoyens qui<br />

soutiennent BDS (Boycot, Disvestment, Sanctions),<br />

une action de boycott menée dans le monde à l’instar<br />

du boycott international contre le défunt régime<br />

d’apartheid en Afrique du Sud. Par ailleurs, on veut<br />

soumettre les Palestiniens et les non-Juifs à prêter<br />

un serment de fidélité à Israël, en tant qu’État juif<br />

et démocratique. Pas de loyauté, pas de citoyenneté.<br />

Que penser, dans ces conditions, d’un tel espace<br />

démocratique ? Il est urgent d’abattre ce Mur !<br />

on loVe anD other lanDscapes © yazan khalili

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