november-2010

Du moins je l’espère. Je savais plus ou moins improviser,
mais je n’avais pas encore cette assurance, cette technique.
Pour ça il m’a fallu des années de pratique. » Du haut de ses
70 ans (il les a eus cette année), l’Américain Herbie Hancock,
pianiste-compositeur-funk-post-bop partage cette idée : « Je
joue de façon plus intuitive, en me faisant confi ance, sans
réfl échir comme je le faisais avant. Je me sens beaucoup plus
libre, libéré des contraintes techniques. Mon travail est un
peu la somme de tout ce que j’ai vécu dans ma vie. »
Et pour repousser les limites de sa créativité, quel meilleur
professeur que Miles Davis et son très respecté orchestre,
dans lequel il a passé les années 60 ? « J’avais 23 ans quand
j’ai rejoint l’orchestre, se souvient Hancock. Le niveau était
très élevé, très exigeant – pas seulement Miles, tous les
musiciens. Il fallait vraiment tout donner pour jouer dans
un orchestre comme ça. Moi, j’étais totalement novice,
je ne connaissais pas grand-chose au jazz d’avant-garde,
mais Miles était très ouvert d’esprit, il nous disait de nous
dépasser, de ne pas avoir peur d’explorer l’inconnu. »
Travaillant entre autres avec des grands comme Stevie
Wonder et Leonard Cohen, Hancock a depuis exploré funk,
soul, hip-hop et électro. À l’aube de sa huitième décennie, il
repousse toujours avec plaisir ses propres limites. « Ça me
plaît même encore plus maintenant. Évoluer, ça fait du
bien ! », ajoute-t-il dans un grand éclat de rire.
L’actrice et chanteuse française Juliette Gréco, 83 ans, a
eu quant à elle une relation sensiblement différente avec le
grand Miles : « Je l’ai rencontré après un concert à la Salle
Pleyel à Paris. Ne pouvant me payer une place assise, j’étais
en coulisses et je l’ai aperçu de profi l. Sa beauté, son visage
à la Giacometti m’ont tout de suite frappée. Il y avait une
très forte harmonie entre l’homme, l’instrument et le son.
C’était très troublant. Miles était un spectacle à lui seul.
Nous avons été ensemble quelques mois et nous sommes
toujours restés en contact après. »
La vie lui fi t ensuite croiser le chemin d’un autre
visionnaire du XX e siècle en la personne de Serge
Gainsbourg… dans la droite ligne d’une jeunesse
décidément peu ordinaire : après l’arrestation de leur mère
résistante par la Gestapo, Juliette et sa sœur aînée prennent
la fuite, mais sont bientôt rattrapées et emprisonnées.
Sa mère et sa sœur furent déportées vers les camps (elles
furent libérées en 1945) mais Juliette, âgée de seulement
16 ans, est jetée dans les rues de Paris.
Sa professeur de français prend sous son aile la jeune
fi lle sans ressources et l’encourage à suivre des cours
METROPOLITAN 93