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05.04.2013 Views

PASCALE HUMMEL chronologie. Ce n'est qu'une fois depasse Ie stade de la litterature latine elle-meme. a la fin de l'antiquite, que la philologie latine prend en charge synthetiquement l'ensemble des textes grecs et latins legues par l'antiquite classique dans sa totalite. Les scholiastes et exegetes latins commentent les ceuvres latines, de la meme maniere - sous une forme toutefois plus elaboree et developpee - que les scholiastes grecs prenaient en charge les ceuvres grecques de leur propre tradition linguistique. Les commentateurs latins etudient plus volontiers les macrostructures (c'est-a-dire la syntaxe et le style). quand les Grecs s'attachaient aux microstructures (a savoir principalement Ie lexique). Cette remarque s'applique avant tout aux textes pris comme un tissu coherent de sens, que les philologues s'emploient a decoder. Les mots et les structures de la langue sont presents dans les textes d'une maniere pour ainsi dire implicite. Le savoir relatif a la langue. grecque d'abord. latine ensuite, se construit parallelement a l'etude des ceuvres qui en sont l'expression. Ce savoir grammatical ne precede pas les ceuvres: il en decoule. Aristophane de Byzance. par exemple. en meme temps qu'il commente les poemes homeriques. en inventorie Ie vocabulaire, d'ou il tire notamment un lexique, dont il ne reste presque rien. En l'absence de traces et de preuves pour l'antiquite reculee, sauf dans Ie domaine asiatique, la forme que prit la grammaire aux commencements de la Grece est purement conjecturale : Ie travail des philologues alexandrins prolonge de toute evidence une tradition immemoriale. indirectement attestee par Homere. d'une etude de la langue principalement correlee a la pratique pedagogique. et ce longtemps sous une forme essentiellement orale. La philologie, comme l'illustrent originellement les scholies. satisfait fondamentalement un besoin d'inte.lligibilite personnel et collectif. ainsi que l'imperatif pedagogique de l'explication et de la transmission. En definitive. Ie philologue ancien ne vise pas une construction holistique ou originale du passe qui lui parvient a travers les textes. Sa tache est plus immediate et pragmatique : il commente des textes, qu'il explique a des eleves ou consulte simplement a des fins personnelles. Certes Ie Musee d'Alexandrie apparait comme un centre de conservation et d'etude entierement devolu a l'etude du passe. Mais rien dans les realisations ecrites des philologues ne releve d'une mise en forme theorique ou sommative du legs antique. Leur tache est celie du bibliothecaire-philologue et non du theoricien, du commentateur et non de l'historien. Les textes sont Ie but autant que le materiau : la philologie trouve pour ainsi dire en eux sa verite immanente. Les grammairiens alexandrins, qui travaillaient a amender les textes classiques. etaient guides par Ie souci de conserver intact Ie patrimoine spirituel de leurs aines. La finalite principale de la grammaire etait l'exegese des poetes.

EN QUETE D'UN REEL LINGUISTIQUE I79 ou l'etude de la prosodie et des figures de rhetorique tenait une place essentielle. Meme si. des les premiers temps de la science philologique. les savants manifesterent de la curiosite pour la question de l'origine. les recherches dans ce domaine resterent vaines ou leurs conclusions sans effet aussi longtemps que les grammairiens se limiterent a. l'etude d'un seul idiome ou de leur seule langue maternelle. Le reel du philologue ancien est d'abord et tout entier textuel ; Ie reel du gramrnairien est un produit derive: la connaissance de la langue decoule de l'etude des textes, c'est-a.-dire de la langue en contexte. La philologie est premiere, la grammaire seconde ; et, par commodite de langage, Ie mot philologie finit par englober les deux. De la periode romaine de la philologie on peut dire qu'elle fut plus grammaticale que philologique, en tout cas que les Latins approfondirent la dimension grammaticale de la philologie en lui conferant une autonomie epistemologique. Autrement dit, l'enchainement des etapes peut se resumer ainsi : (I) commentaire exegetique et grammatical des textes. (2) constitution paralleIe d'un savoir grammatical proprement dit. (3) autonomisation de ce savoir grammatical. Dire que la grammaire derive de la philologie serait inexact; tout aussi juste (ou inexact) serait de dire que la philologie derive de la grammaire. Le partage des acquis d'une part et la transmission des connaissances requise par la pedagogie d'autre part montrent la maniere dont grammaire et philologie meIent, voire confondent. leur trajectoire tout au long de l'histoire de la tradition. Privilegier un versant plutot qu'un autre est en definitive une simple question de point de vue: soit 1'0n considere, en quelque sorte pour elle-meme, l'appropriation des CEuvres par Ie commentaire perpetuel 3 , OU se succedent au fil du temps les mains de plusieurs generations de scholiastes et de philologues. soit I'on s'interesse au contenu de l'exegese et a. son caractere grammatical. D'un cote Ie paratexte exegetique, de l'autre l'hypertexte. en quelque sorte, des elements de connaissance constitues en savoir autonome, a. savoir par exemple l'organisation des lemmes et des gJossai en lexique. La double demarche de la deduction et de l'induction rend compte de cette construction ou reconstruction d'un reellinguistique par la philologie : en expliquant, Ie philologue deconstruit ; en organisant la matiere de son explication. il construit. L'intelligence du philologue-grammairien est empathique: elle se moule sur Ie texte a. comprendre : l'intelligence du grammairienphilologue est analytique-synthetique. En alliant deconstruction et reconstruction, la philologie propose la construction originale d'un reel linguistique. Elle s'exerce dans Ie va-et-vient entre Ie modele a. com- 3 Commentaries - Kommentare. ed. G. W. Most, Gottingen. Vandenhoeck & Ruprecht. 1999.

PASCALE HUMMEL<br />

chronologie. Ce n'est qu'une fois depasse Ie stade de la litterature latine<br />

elle-meme. a la fin de l'antiquite, que la philologie latine prend en<br />

charge synthetiquement l'ensemble des textes grecs et latins legues par<br />

l'antiquite classique dans sa totalite. Les scholiastes et exegetes latins<br />

commentent les ceuvres latines, de la meme maniere - sous une forme<br />

toutefois plus elaboree et developpee - que les scholiastes grecs<br />

prenaient en charge les ceuvres grecques de leur propre tradition<br />

linguistique. Les commentateurs latins etudient plus volontiers les<br />

macrostructures (c'est-a-dire la syntaxe et le style). quand les Grecs<br />

s'attachaient aux microstructures (a savoir principalement Ie lexique).<br />

Cette remarque s'applique avant tout aux textes pris comme un tissu<br />

coherent de sens, que les philologues s'emploient a decoder. Les mots et<br />

les structures de la langue sont presents dans les textes d'une maniere<br />

pour ainsi dire implicite.<br />

Le savoir relatif a la langue. grecque d'abord. latine ensuite, se<br />

construit parallelement a l'etude des ceuvres qui en sont l'expression.<br />

Ce savoir grammatical ne precede pas les ceuvres: il en decoule.<br />

Aristophane de Byzance. par exemple. en meme temps qu'il commente<br />

les poemes homeriques. en inventorie Ie vocabulaire, d'ou il tire<br />

notamment un lexique, dont il ne reste presque rien. En l'absence de<br />

traces et de preuves pour l'antiquite reculee, sauf dans Ie domaine<br />

asiatique, la forme que prit la grammaire aux commencements de la<br />

Grece est purement conjecturale : Ie travail des philologues alexandrins<br />

prolonge de toute evidence une tradition immemoriale. indirectement<br />

attestee par Homere. d'une etude de la langue principalement correlee a<br />

la pratique pedagogique. et ce longtemps sous une forme essentiellement<br />

orale. La philologie, comme l'illustrent originellement les scholies.<br />

satisfait fondamentalement un besoin d'inte.lligibilite personnel et<br />

collectif. ainsi que l'imperatif pedagogique de l'explication et de la<br />

transmission. En definitive. Ie philologue ancien ne vise pas une<br />

construction holistique ou originale du passe qui lui parvient a travers<br />

les textes. Sa tache est plus immediate et pragmatique : il commente des<br />

textes, qu'il explique a des eleves ou consulte simplement a des fins<br />

personnelles. Certes Ie Musee d'Alexandrie apparait comme un centre<br />

de conservation et d'etude entierement devolu a l'etude du passe. Mais<br />

rien dans les realisations ecrites des philologues ne releve d'une mise en<br />

forme theorique ou sommative du legs antique. Leur tache est celie du<br />

bibliothecaire-philologue et non du theoricien, du commentateur et non<br />

de l'historien. Les textes sont Ie but autant que le materiau : la philologie<br />

trouve pour ainsi dire en eux sa verite immanente. Les grammairiens<br />

alexandrins, qui travaillaient a amender les textes classiques. etaient<br />

guides par Ie souci de conserver intact Ie patrimoine spirituel de leurs<br />

aines. La finalite principale de la grammaire etait l'exegese des poetes.

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