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PLUME
Texte Velia Ferracini
Photos Velia Ferracini
Et ce jour-là, il y a du vent.
Je me retourne,
quelqu'un m'observe.
Ses traits sont déformés par les rafales gelées qui arrivent
du port dans un hurlement strident. Je plisse les yeux et
remonte de ce geste les verres, opaques de buée, qui me
servent de guide dans l'Islande de ma jeunesse.
Rien. Je ne vois rien de cette terre de glace et de flammes
que j'aimerais peindre à jamais en moi. Enregistrer.
Pourtant,
je ne vois rien.
Enfin,
si.
Du blanc à perte de vue et, dans ce blanc
qui s'estompe, une silhouette qui ondule et s'approche,
gibbeuse.
En arrière plan, l'océan, traînée cosmos, se repose à perte
de vue. Son relief est si plat qu'aucun point ne se découpe
dans ma vision de vide. Une nouvelle fois, j'ai l'impression
maintenant des lames plus foncées au sommet de l'estampe,
mais je ne me figure pas mieux le visage mystère,
toujours effacé, qui vient à ma rencontre.
S'agit-il d'un rêve ? Est-ce un amant de mes nuits qui s'est
matérialisé, tout en restant fidèle à son faciès de songe ?
Une autre bourrasque me bouscule. La silhouette disparaît.
J'aimerais la rattraper, comprendre comment elle
s'évapore. Je cligne, elle se dessine encore.
En la scrutant attentivement, on dirait qu'une cicatrice
infinie sépare le corps sur la longueur, qu'il est sur le point
de se déchirer. Comme si, à tout moment, la tache allait se
repousser en deux parties distinctes, qui ne seraient pas
pour autant plus perceptibles.
J'aimerais qu'elle devienne nette, qu'elle prenne la forme
d'une geisha dans une robe de soie ou d'un guerrier maori
tatoué de sa vie. La marque me fait signe.
En y réfléchissant,
c'est certainement ma mère.
de tâtonner dans l'espace dont les contours flous m'assourdissent,
m'asphyxient.
Je ramène ma concentration à cet horizon éclaté.
Une tache d'aquarelle, cendrée, se dessine sur la toile
vierge. Je ferme les yeux et tente d'imaginer son détail :
une chevelure charbon, un sourire rivière et des paupières
de feu. Les traits jaillissent dans le noir de ma tête, se colorent,
se remplissent.
Une goutte de pluie s'écrase sur ma joue et mon regard,
ouvert sous cette caresse, éclate mon esquisse.
Retour du tableau blanc, cadré de sombre, avec une éclaboussure
grise, diffuse, en son centre.
Je sens pourtant qu'elle s'avance, qu'elle me traverse de sa
vision qui semble, au contraire de la mienne, capable de
m'étudier. Impression d'être une cellule criblée par son œil
microscope, alors que je me démène à inspecter le même
élément avec un vieux cul de bouteille, fêlé et souillé de
poussière.
Le ciel s'est obscurci, le point s'est agrandi. Je décèle
18 spectrum 11.20