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DOSSIER
Texte Amélie Gyger et Sylvain Cabrol
Illustration Antoine Bouraly
Abonnements à la chaîne,
le nouveau servage
On l’appelle « économie de l’abonnement » et c’est la nouvelle laisse au cou des consommateur∙rice∙s.
De propriétaire, l’acheteur∙euse devient simple locataire de services.
Comment en est∙on arrivé∙e∙s là ? Et à quel prix ? Mise au point.
La révolution numérique a accouché
d’un monstre : l’abonnement. Alors
qu’elle devait être synonyme de libération,
voire de gratuité, nous nous retrouvons
à allonger la monnaie chaque mois pour
conserver l’accès à des services, là où auparavant
nous payions une fois pour toutes
pour un produit. Et ça commence à faire
mal aux fesses.
Aux origines d’un modèle économique
« plein d’avenir »
L’abonnement trouve son origine dans le
domaine de l’édition et les infrastructures
de réseaux. L’objectif ? Garantir l’accès à
des services essentiels (eau, électricité, télécom)
ou proposer des biens et services
pour une durée limitée selon les envies de
chacun∙e.
Ce modèle connaît un nouvel essor au
tournant du siècle, en particulier
grâce aux TIC (technologies de l’information
et de la communication) : certains
formats tels que les jeux vidéo en ligne
(World of Warcraft) ou le streaming (Netflix,
Spotify) impliquent par leur nature
même un abonnement. Parfois, celui-ci
apparaît comme une alternative raisonnable
à l’achat d’un produit au coût prohibitif
: c’est le cas d’Adobe et Microsoft
Office. Ces formules s’accompagnent de
fonctionnalités supplémentaires, comme
le Cloud et des mises à jour régulières, et
ont rendu leurs produits plus accessibles.
Et avec les smartphones, les abonnements
se sont étendus aux applications mobiles.
Quand l’économie de services devient
racket
Les chantres de l’abonnement peuvent
voir l’avenir en rose. Selon le magazine
Challenges (14 février), ce modèle économique
a entraîné une forte augmentation
du nombre d’utilisateur∙rice∙s, mais
aussi des chiffres d’affaire.
Si l’idée semble bonne a priori, les
choses se compliquent quand le∙la
consommateur∙rice est captif∙ve et que
son choix est restreint. Adobe est déjà
passé au tout-abonnement, Microsoft
en prend le chemin, et d’autres acteurs
plus surprenants suivent la tendance.
L’usager∙ère se trouve à la merci de
changements de modèle économique
parfois intempestifs. Et les abus se
multiplient. Le Figaro (3 février) cite un
exemple frappant, celui de Fantastical,
un agenda largement apprécié par les
utilisateur.rice.s d’IPhone. Autrefois
au prix d’achat de 5,49 euros, il faudra
maintenant débourser cette somme
tous les mois pour y avoir accès.
Economie et écologie ont bon dos
Comment justifier ces tarifs croissants ?
Le coût des mises à jour est-il si élevé
? Impossible de ne pas se poser la
question en constatant les revenus
conséquents que peut générer l’abonnement.
Outre l’argument du pouvoir
d’achat, ses promoteur∙rice∙s sortent
parfois la carte de l’écologie, notamment
quand il est question d’appliquer
ce modèle à l’électroménager : les
constructeur∙rice∙s, soucieux∙euses de
faire durer le produit, renonceraient à
l’obsolescence programmée.
La généralisation de l’abonnement pose
la question de la liberté réelle dans une
économie dite « libérale » : plutôt que de
faciliter l’accès à des services trop chers
par ce biais, ne devrait-on pas faire baisser
les coûts pour permettre à chacun∙e d’acquérir
ces biens en conservant son indépendance
? Si l’abonnement a ses vertus,
prenons garde à ce qu’il ne fasse pas de
nous les sujets taillables et corvéables d’un
corporatisme triomphant. ■
Sources : https://www.lefigaro.fr
www.challenges.fr
14 spectrum 03.2020