PSC 4-11 - FSP

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DOSSIER: La honte
PSYCHOSCOPE 4/2011
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Le Seigneur Dieu fit pour Adam et sa femme des tuniques
de peau dont il les revêtit (...). «Maintenant, qu’il
ne tende pas la main pour prendre aussi de l’arbre de vie,
en manger et vivre à jamais !» (...) 24 Ayant chassé l’homme,
il posta les chérubins à l’orient du jardin d’Eden avec la
flamme de l’épée foudroyante pour garder le chemin de
l’arbre de vie.
C’est pourquoi, note Freud dans L’interprétation des
rêves: «Dans le paradis [terrestre] les hommes sont nus
et n’ont point de honte, jusqu’au moment où la honte et
l’angoisse s’éveillent, où ils sont chassés et où commencent
la vie sexuelle et la civilisation.» (4). Freud reviendra
sur ce sujet à la fin de son Moïse (5). Je pense que
le péché correspond au «parricide» originel freudien, à
l’évolution de l’enfant et de l’humanité.
Enfin il ne faut pas oublier l’interdiction de manger le
fruit du deuxième arbre: celui de la vie, qui représente
l’immortalité de l’homme du paradis (Gn 21–24, ci-dessus).
On assiste de nos jours à la tentative de «manger ce
fruit», de manipuler scientifiquement les fondements de
la Vie. L’avenir nous dira si c’est un progrès ou si les résultats
obtenus engendreront aussi de la culpabilité et de
la honte à cause des dégâts provoqués à la nature.
Honte individuelle vs honte collective
Il y a dans la Bible un très beau «poème» qui exprime
la honte et la culpabilité individuelle: le fameux psaume
pénitentiel du Roi David, le «Miserere» (Psaume 51),
qu’il a écrit après avoir provoqué la mort de son
meilleur général (Urie), mari de son amante Bethsabée.
David, inconscient de sa faute, a été rendu conscient de
sa culpabilité honteuse par son «psychanalyste», le prophète
Nathan (Livre de Samuel 2, ch. 12).
La honte et la culpabilité collectives, fréquentes, de
l’ancien peuple d’Israël sont aussi présentes dans une
prière – confession (que je crois valable encore actuellement)
que le prophète Daniel adresse à Dieu, au nom
de son peuple: « 5 (...) Nous nous sommes révoltés contre
toi, nous nous sommes détournés de tes commandements
et de tes règles. 6 Nous n’avons pas écouté tes serviteurs les
prophètes qui ont parlé de ta part à nos rois, à nos chefs,
à nos ancêtres et au peuple tout entier. 7 Toi, Seigneur, tu
es sans faute ! Nous, nous ne pouvons que nous humilier,
comme tous les autres Israélites, proches ou lointains, dispersés
dans les pays où tu les as chassés à cause de leur infidélité
à ton égard. 8 Oui, Seigneur, honte à nous, à nos
rois, nos chefs et nos ancêtres, car nous t’avons désobéi !
9
Mais toi, Seigneur notre Dieu, dans ta bienveillance,
tu nous pardonnes, bien que nous nous soyons révoltés
contre toi.» (Livre de Daniel, ch. 9, 4-9).
Un dernier texte, qui a trait à la culpabilité et à la honte
humaine collective, se trouve dans le dernier livre de
la Bible, l’Apocalypse. Il met en garde une communauté
chrétienne, et donc l’Homme, afin que les catastrophes
et les malheurs qui sont advenus dans le monde avec sa
complicité n’aient plus à se reproduire et qu’à la fin des
temps, le Bien puisse triompher du Mal.
Au ch. 3, Dieu dit au Prophète de communiquer aux
hommes: « (...) 17 Parce que tu dis: je suis riche, je me
suis enrichi, je n’ai besoin de rien, et que tu ne sais pas
que tu es misérable, pitoyable, pauvre, aveugle et nu, 18 je
te conseille d’acheter chez moi de l’or purifié au feu pour
t’enrichir, et des vêtements blancs pour te couvrir et que
ne paraisse pas la honte de ta nudité, et un collyre pour
soigner tes yeux et leur rendre la vue.»
Au ch. 16: « 15 Voici, je viens comme un voleur. Heureux
celui qui veille et garde ses vêtements, pour ne pas aller
nu et laisser voir sa honte.»
Les prophètes de la Bible, ainsi que les devins des
mythes grecs, revêtent un rôle commun: celui d’aider
l’individu et la collectivité à prendre conscience de ce
qu’ils ont refoulé, comme Tirésias par exemple l’a fait
avec Œdipe et la collectivité de Thèbes.
Honte et psychanalyse
Freud n’a jamais consacré à la honte une étude spécifique,
mais le thème est présent dans différents écrits,
en commençant par L’interprétation des rêves. Pour passer
en revue la littérature à ce sujet, je renvoie à l’œuvre
de S. Tisseron (6).
Dans la littérature post-freudienne, plusieurs auteurs
se soucient de distinguer la honte de la culpabilité.
Moi je préfère chercher à établir des liens complexes
et possibles entre les deux sentiments: honte en l’absence
de culpabilité, culpabilité sans honte, culpabilité
avec honte, absence aussi bien de honte que de
culpabilité (comme par exemple dans les perversions).
Quoi qu’il en soit, la culpabilité est liée à l’intervention
du Surmoi et la honte à une faille narcissique
par rapport à l’Idéal du Moi et au Moi Idéal (il m’est
ici impossible d’approfondir ultérieurement, faute de
place). Les premiers qui ont posé le problème ont été
Ferenczi et Fenichel, suivis par plusieurs autres chercheurs.
Nous, en tant que psychologues et psychothérapeutes,
nous devons être ouverts à la perception de notre honte
et de notre culpabilité par rapport aux fautes commises
avec nos patients et utiliser cette prise de conscience
pour nous corriger, surtout quand les patients découvrent
nos erreurs d’intervention ou d’interprétation,
nos limites, nos manques d’attention; c’est-à-dire quand
ils s’aperçoivent que «le Roi est nu».
Nous risquons autrement de continuer à commettre
des erreurs et, parfois même, d’interpréter des communications
du patient dues à une perception réelle
comme si elles étaient dues à une projection, ce qui les
mettrait en difficulté (ici c’est notre contre-transfert qui
est en question).