PSC 4-11 - FSP

16
DOSSIER: La honte
PSYCHOSCOPE 4/2011
La honte
originelle
Les fonctions de la honte et de la culpabilité
Le psychologue psychothérapeute tessinois
Gian Giacomo Carbonetti présente,
dans son article, une approche originale
de la honte. En effet, il propose une réflexion
culturelle située à cheval entre la
Bible, la psychanalyse et son expérience.
Il aborde notamment les origines de la
honte et son rapport avec la psychanalyse.
Il compare encore la honte collective
et la honte individuelle que décrit la
Bible, et évoque enfin la présence ou
l’absence de honte.
Je n’entends pas écrire ici un texte scientifique ou technique
au sujet de la honte (il y en a déjà beaucoup), mais
proposer plutôt une réflexion culturelle qui se situe à cheval
entre la Bible, la psychanalyse et mon expérience.
C’est comme si je voulais écrire un tout petit chapitre
du freudien Totem et tabou, mais fondé sur les premiers
textes bibliques qui sont à la base de notre civilisation
judéo-chrétienne, dont les plus anciens remontent au
VIII e - V e siècle avant J.C., c’est-à-dire plus ou moins à la
même période que les textes de la mythologie grecque.
Récupérer le sens de la honte
Tout ceci sur les traces de Freud qui, dans son autobiographie,
ajoute, en 1935, alors qu’il commençait à écrire
son Moïse (5): «Le fait que je me plongeai très tôt, à
peine terminé l’apprentissage de la lecture, dans l’étude
de l’histoire biblique a déterminé d’une manière durable,
comme je m’en suis aperçu par la suite, l’orientation de
mes intérêts.» (1).
On pourrait lire ces textes bibliques comme un «traité»
primordial de psychologie de l’humanisation.
La honte est humiliation, culpabilité, sentiment pénible
qui provoque la crainte de l’insuccès, du déshonneur,
la peur du châtiment, etc. La honte fait rougir et fait
baisser les yeux (surtout quand elle contraint à mentir
de façon plus ou moins manifeste), elle donne envie de
se cacher, de disparaître. Dans la société actuelle, opulente
et matérialiste, les mots «honte» et «culpabilité»
déclinés à la première personne semblent avoir disparu:
il est plus facile de dire «tu devrais avoir honte» que de
dire «j’ai honte». Prenons par exemple les «grands» managers
de la haute finance qui ont provoqué les graves
crises qu’on connaît et ruiné des milliers de personnes:
ils n’ont jamais exprimé des sentiments de honte ou
de culpabilité ! Ils ont empoché leurs bonus millionnaires...
et c’est tout.
Cela peut déclencher un processus d’imitation: «Si eux
ont fait ça sans honte ni culpabilité, alors moi aussi...»
L’oubli de la honte contribue à effacer la responsabilité
personnelle et la culpabilité, et donc il faut récupérer sa
valence éthique, il faut lui redonner un sens et réfléchir
sur la civilisation actuelle comme le fait Freud dans
Malaise dans la civilisation (2).
Aux origines de la honte
Il est surprenant que, dans les premières pages de la
Bible, le premier sentiment explicitement nommé attribué
à l’homme primordial est la honte, d’abord sous
forme de négation (dans le paradis terrestre), puis lié à
la culpabilité (après le péché originel).
La création de l’homme et le péché originel sont racontés
dans la Genèse (Gn), texte que je reprends, comme tous
les autres textes bibliques suivants, de la Bible TOB (3).
Gn, ch. 2: au début (...) 25 tous deux étaient nus, l’homme
et sa femme, sans se faire mutuellement honte.
Selon l’exégèse biblique, la nudité ne deviendra un problème
qu’après la transgression (Gn 3). Les mots nudité
et honte expriment très souvent dans la Bible la faiblesse
ou la défaite. Ici on veut souligner le fait que
l’homme et la femme s’acceptent tels qu’ils sont, sans
abuser de leurs faiblesses respectives. Le couple humain
(«angélique» aux origines) n’a pas encore découvert
la sexualité, ils sont égaux et asexués.
Le Serpent qui incite Eve à manger le fruit interdit intervient
ensuite, et... (ch. 3): 2 La femme répondit au serpent:
«Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin,
3 mais du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin,
Dieu a dit: “Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez
pas afin de ne pas mourir.”» 4 Le serpent dit à la femme:
«Non, vous ne mourrez pas, 5 mais Dieu sait que le jour